Résolution
« Maaooooow…»J’émerge lentement de mon demi-sommeil, j’ouvre les yeux. Je m’habitue rapidement à l’obscurité ambiante et j’aperçois le chat qui tourne près de moi en miaulant. Il a encore faim !
Je m’extrais du tas de gravats sous lequel je m’étais camouflé pour échapper aux morts-vivants.
Ce vieil immeuble était l’endroit parfait. Les murs effondrés, les cavités causées par les éboulis, les meubles brisés épars, tout le confort dont puisse rêver un campeur dans ce désert infernal.
Je m’assois sur le rebord du sol effondré, tout le pan ouest du bâtiment a disparu depuis longtemps. Je suis au troisième étage, j’embrasse du regard l’horizon et j’aperçois au loin les lueurs de la ville ; phare salvateur des randonneurs égarés au cœur de l’immensité de cet océan de silice.
Les grommèlements portés par le vent m’indiquent que les zombies se dispersent après leur vaine ruée nocturne vers le Gouffre. Je suppose qu’ils se sont heurtés une fois encore au grand rempart…
Fourrageant dans ma besace, je sors une « boite à surprise » comme je les appelle. L’étiquette moisie aux inscriptions effacées ne permet de déterminer son contenu ; je ne parle même pas de la date de péremption que l’on préfère ignorer. Le fumet qui s’en dégage dès l’instant où je l’ouvre ne laisse en revanche aucun doute : Grouchat se régalera bien plus que moi. Le voilà d’ailleurs qui frotte sa tête sur ma main en miaulant de plus belle.
Pendant que mon compagnon fait bombance, je m’affaire à fouiller méticuleusement une nouvelle fois les débris de la pièce décrépite, n’envisageant pas de quitter les ruines avant le lever du jour.
Au milieu des décombres, amoncellement hétéroclite d’objets à jamais devenus futiles, je finis par mettre la main sur une lunch-box rouillée dans laquelle je découvre d’étranges confiseries emballées dans un sachet coloré clamant « Haribo c’est beau la vie » ! J’éclate de rire en pensant que les responsables du marketing devaient être morts bien avant le Grand Cataclysme pour avoir l’idée, aujourd’hui incongrue, d’un tel slogan.
Tandis que j’enfourne au fond de mon sac cette improbable trouvaille, mes yeux s’arrêtent sur une planche à dessin couverte de poussière gisant sous une baignoire renversée. J’extirpe la planche puis j’attrape délicatement la feuille format A3 qui y est fixée et réalise avec une stupeur qui laisse immédiatement place à la joie qu’il s’agit d’un plan d’architecte fort rare. Je le plie avant de le glisser avec une infinie précaution dans la poche intérieure de ma veste.
Je rejoins Grouchat qui maintenant fait ses griffes sur le fémur d’un macchabée qu’il a envoyé la veille rejoindre le paradis des zombies sans tête. Je décide de prendre un peu de repos avant la longue marche qui m’attend dans quelques heures pour rejoindre le Gouffre et le refuge des Gardiens…
« Croaa croooaaa… »Je m’éveille en sursaut. Un énorme corvidé au plumage de jais se tient perché sur le chambranle d’une porte imaginaire me scrutant de son œil inquisiteur. L’oiseau messager - les pigeons voyageurs étant plus communs dans nos gamelles que dans le ciel - n’en est pas moins de mauvais augure.
Je l’attire aisément avec la langue charnue arrachée à l’un des cadavres nauséabonds éliminés par mon vieil ami. L’animal n’hésite qu’un court instant et tandis qu’il pique avidement dans la chair purulente, je me saisis de lui pour retirer le morceau de parchemin fixé à sa patte droite avant de le laisser finir son repas.
Comme je m’y attendais les nouvelles sont mauvaises.
Mind qui était resté planqué dans un motel délabré à l’extrême Est de la région connue s’est retrouvé pris dans un piège mortel au petit jour. Cerné de toutes parts il ne peut que maintenir ses assaillants à distance sans espoir de leur fausser compagnie. Il ne survivra pas une nouvelle nuit.
Je me souviens alors que Manech et Shurgaal font route vers le Silo au nord de ma position si j’en crois la carte topographique que je consulte nerveusement. Sans hésiter, je ramasse mes affaires, mes précieuses trouvailles et suivi par Grouchat, je quitte aussitôt ma retraite et entame une longue traversée.
L’astre solaire est à son zénith lorsque je rejoins enfin Shurgaal et Manech. Après une discussion animée sur le meilleur chemin à prendre et sur les risques encourus par les uns et les autres, nous convenons que Shurgaal et moi-même iront secourir Mindy pendant que Manech installera son campement.
Nous arrivons au Silo et aussitôt nos félidés sauvages bondissent toutes griffes dehors. Cris, grognements, feulements et gerbes de sang. C’est un véritable carnage dont aucun zombie ne sortira en « vie ». Malheureusement mon courageux compagnon est mortellement blessé au cours de l’affrontement, il ne rentrera pas avec moi ce soir. Manech a désormais toute latitude pour installer son bivouac et poursuivre ses fouilles dans les environs. Nous lui souhaitons bonne chance et poursuivons notre route sans elle…
Après plusieurs kilomètres de marche forcée, Shurgaal et moi-même parvenons au sommet de la dernière dune. Nous nous frayons un chemin au milieu des hordes abominables à grands coups de bouclier et d’électroménager avant de rejoindre Mind sain et sauf.
Il a la ferme intuition que des ruines se trouvent à quelques lieues d’ici au nord-ouest et insiste pour suivre l’itinéraire qu’il nous propose. L’eau manque, la nourriture aussi après un aussi long trajet. Nous décidons de prendre un remontant !
Moins d’une heure plus tard nous découvrons un ancien campement de réfugiés saccagé, dévasté. Mind avait vu juste, il a du flair ! Finalement c’est une bonne chose qu’il en ait manqué en quittant son campement.
Il n’y a pas âme qui vive ici, mais une vingtaine de ces infatigables anthropophages en éternelle putréfaction. Après une inspection rapide des lieux, nous décidons de ne pas nous attarder.
Shurgaal brandit alors fièrement son Polaroid tel un artefact magique et, profitant de la confusion créée par le flash lumineux, nous quittons tous trois la zone au pas de course…
Tous les trois ?? Non ! Mind se retourne, je suis son regard, inquiet, je constate avec stupeur que Shurgaal est resté en arrière. Il nous rejoint quelques minutes plus tard en boitant, la jambe lacérée et ensanglantée.
Ce n’est vraiment pas une mince affaire que de voyager dans ce désert !
J’imagine déjà Ice se délectant de l’anecdote ; lui qui aime tant les aventures rocambolesques et les situations dantesques.
Finalement nous reprenons notre périple, las et accablés par l’effort, puis, chacun suivant un chemin différent, nous regagnons le Gouffre et nos baraquements pour nous reposer après cette éprouvante mais mémorable journée...
Une fois encore les mystères et les dangers de l‘Outre Monde assassin n’auront su avoir raison de la détermination, de la solidarité des Gardiens.