L'unité...
La lune éclairait sporadiquement les premières heures de ce troisième jour.
Déjà, les gardiens insomniaques commençaient à sortir de leurs tentes. Le bruit de toutes ces fermetures éclairs ouvertes à la va-vite rappelait au vieux ses problèmes de prostate.
Lui ne se levait pas. Il doutait.
La trouvaille faite la veille par Arvran et Eagles d’un container de vêtements sur l’ancien aérodrome, container visiblement abandonné par les forces spéciales qui avaient tenté de purifier la zone, avait apporté du baume au cœur à chacun.
L’équipe s’était soudée, une ville arborant fièrement les mêmes couleurs n’avait d’autre destin que de vivre une même vérité : La victoire.
Des habitants acceptant humblement de reconnaître qu’ils n’étaient que les maillons d’une même chaîne lui réchauffaient le pacemaker.
Il repensait à Manech qui n’avait eu qu’un appel à faire sur le poste radio ingénieusement bricolé par Alternatif pour avoir aussitôt le soutien de toute la communauté.
C’est beau l’unité se disait-il…
Ce qui l’inquiétait, hormis sa prostate évidemment, c’était cet homme qui déambulait habillé comme pour aller à la plage. Hier, chacun recevait son paquetage vestimentaire, treillis et bottes et lui avait continué à se balader habillé d’un ensemble pantacourt/tee-shirt rose « peace and love », le pire étant sûrement ses tongs qui laissaient des traces dans le sable sur lesquelles on pouvait lire UNP…
Ice se décida à partir régler le problème immédiatement !
Une bonne heure après, le temps de réchauffer ses os et ses muscles, le vieux sortit et se dirigea vers la tente du réfractaire.
Putain de lune, pensait-il. On n’y voit pas à deux mètres bordel ! Puis, il trébucha sur le corps ivre mort de Never ! Celui-ci se redressa en hurlant « c’est l’attaque ! c’est l’attaque » ! Ice le rendormit en lui offrant son bouclier dans la tronche. Sûrement le seul bouclier faisant office de doudou dans ce monde perdu…
Arrivé devant la tente de Sophocle, le vieux vit le paquetage, déposé amicalement par Badack. Et à côté, une paire de tongs… Jaunes.
Il regarda autour de lui et décida de s’en emparer pour aller les déposer en banque, après tout, il fallait bien qu’elle se remplisse. Puis, après quelques mètres parcourus, il décida finalement de les enterrer. En fait l’odeur de ces chausse-pieds lui rappelait une douloureuse histoire vécue avec une goule. Aucun sentiment affectif non… Juste un rappel olfactif.
Puis, il sortit de la ville pour se mettre à une case en mode Shadock.
A son retour, il entendit quelqu’un qui hurlait dans la ville.
- Mes claquettes ! Où sont mes claquettes ?
Aussitôt, malgré les heures passées dehors, il sut de qui venaient ces couinements.
Une partie de la communauté s’était déjà rassemblée autour de Sophocle, qui gueulait pieds nus.
Le vieux fendit la foule jusqu’à arriver à portée de voix du dissident.
- Mais je les ai enterrées tes clacos ! Ça daubait la mort bordel ! Tu comptes nous attirer les putrides ou quoi ?
- Mais pas du tout, répliqua Sophocle, j’ai une hygiène plantaire excellente !
Déjà des voix dans la foule bruissaient, remarquant que l’eau du puits avait un goût bizarre.
- Mais les arbustes mourraient quand je passais à côté d’eux avec tes tongs, assena Ice.
- Tu mens ! hurla Sophocle . Et en plus, ce ne sont pas des tongs mais des claquettes. Des claquettes bordel ! Inculte !
Le vieux, de nature calme, préféra se retirer. Il recula et retourna se lover dans la foule.
- Espadrilles, tongs, claquettes, même combat poursuivait-il en marmonnant, à la fin, ça fouette !
Tandis qu’il cheminait vers la banque pour déposer son maigre butin de la journée, ce fut au tour de Fouc de donner de la voix.
- Mais t’as des rangers bordel ! Tu retires ta tenue pourrie et tu t’habilles comme nous. Point !
- Mais non enfin, les vêtements je veux bien, mais pas les moon boot par pitié ! supplia Sophocle.
- Mais c’est pas des moon boot, ce sont des rangers, répliqua Fouc. Le problème c’est p’t’être que tu sais pas faire tes lacets hein !
Eoril sortit à son tour de la foule.
- Ecoute Sophocle, tu lis des livres toi non ?
La foule rit.
- Il n’y a aucun mal repris Eoril, s’adressant cette fois à la foule. Cela peut vous arriver à tous ! Vous vous rappelez qu’on cherche des plans de chantiers quand même ?
La foule rit à nouveau.
- Bon, fit Eoril se retournant vers Sophocle, tu fais un effort, tu enfiles cet uniforme et ces godasses et tu arrêtes de nous faire passer pour des demeurés, tu comprends ça ?
- Oui. Je vais le faire.
La foule se dispersa, Sophocle se retrouva seul…
Il fila à sa tente et enfila son treillis réglementaire. Puis pieds nus, discrètement, il alla jusqu’à la tente de Badack.
- Badack ?
- Ouais répondit-il.
Sophocle, tenant ses rangers à bout de bras demanda :
- T’as pas le même modèle mais avec des scratchs ?