Une fin... ou presque
- Bas les pattes, manant !
Impuissant, j'observe le soldat blanc en train de sortir un cadavre bien particulier -le mien- de la ville. Évidement, il n'entend pas ma voix d'outre tombe, et mes efforts fantomatiques pour l'arrêter ne lui font ni chaud ni froid. Quoique. Ce léger frisson... Était-ce mon influence ou celle de l'air frais d'après l'attaque ?
- Arrière, maraud ! Mercenaire ! Macaque macrocéphale ! Moule à gaufres ! Lâche moi donc !
Savoir que mes imprécations resteront sans effet ne m'empêche pas de les vociférer tandis que Whitesoldier traîne mon corps par les pieds, et moi avec, pauvre âme n'ayant pas encore le courage d'abandonner les siens. Ma rage d'avoir succombé s'écoule ainsi en vaines malédictions sans plus de substance que mes coups de pieds tentant de frapper le sol. De légères volutes de poussières, presque imperceptibles, trahissent cependant ma présence. Si on les cherche. Ah, si seulement j'avais été en vie... J'aurais pu faire respecter mes dernières volontés. J'avais demandé explicitement à ce que ce soit Valhal qui se charge de moi. Il est plus un frère pour moi que n'importe quelle autre éclaireur. Eh mais ! Non ! Si j'avais été en vie, personne n'aurait eu à se charger de mon corps, et le problème ne se serait pas posé.
Pourquoi j'en suis là ? La réponse est simple. Venerunt, vederunt, vicerunt. Ils sont venus, ils ont vu, ils ont vaincu. Et bien sûr, avec ma poisse légendaire, je fais partie des victimes. Mais je vais vous faire grâce des détails, parce que même si je n'ai concrètement plus de nerfs et suis donc incapable de ressentir la moindre douleur réelle, ma mémoire, elle, fonctionne parfaitement, pour l'instant en tout cas. Et le souvenir de la douleur est presque plus réel que ne le fut la douleur elle même, lorsque des crocs mirent ma chair à vif avant de l'arracher à pleines dents. Lorsque mon corps n'était qu'un orchestre jouant une symphonie silencieuse de souffrances... Pourquoi silencieuse ? Tout simplement parce que le droit à la possession de cordes vocales en état de marche m'a été ôté dès les premiers instants, par un baiser dans le cou particulièrement affectueux. Et vorace. J'aurais bien aimé perdre en même temps le droit à la possession d'un coeur battant, mais il fallait bien qu'il pompe pour expédier mon fluide vital hors de moi par mes nombreuses plaies.
Mais j'avais dit que je ne m'étendrais pas là dessus. J'aurais du m'écouter. Voilà maintenant mon corps aux portes de la ville, entassé avec celui des autres victimes. Par chance, je suis en haut. Je peux encore observer ce que font les vivants.
Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, ils ont décidé de... faire comme ces trois derniers jours. Creuser pour des clopinettes. Mais ils ont l'air un peu plus... motivés ou déprimés ? Je ne saurais dire. Ils parlent, bougent, c'est signe de motivation. Mais ils se passent un revolver factice, qu'ils se pressent contre la tempe. Plutôt déprimant, non ? Et quand la balle part, (ou devrait partir, whatever) on peut voir un joli drapeau sortir et afficher fièrement son "PAN !". Bien entendu, l'intéressé souffre alors d'un beau bleu à la tempe, mais c'est mieux qu'un trou supplémentaire, pas vrai ? Quand viendra la fin de la journée, ils examineront la présence ou l'absence du bleu témoin de la défaite. Mais c'est pipé. Le grand baraqué, là bas, poilu comme un lion... Comment voulez vous repérer une ecchymose là dessous ? C'est lui qui va gagner, j'en mettrais ma main à couper. (Je risque pas grand chose, j'ai plus de main)
Héro Kokaïne a juré aux grands dieux que même si elle n'avait pas droit aux grillages du Charr, elle survivrait. C'est tout le mal que je lui souhaite. Zergor, par contre, ne semble pas apprécier cette répartition inégale des défenses. Le drapeau sur la tête lui a visiblement fait plus de mal que de bien. Le voilà qui se faufile en douce, récupère eau et chaine, et ressort aussi sec. Aussi sec que Rodork et Mayh, qui du coup ne pourront pas étancher leur soif dévorante et rejoindront probablement mon cadavre sur ce tas demain matin. S'il n'a pas décidé de se balader entre temps.
Mais les voilà qui rentrent. Impossible de savoir ce qui se passe derrière les murs de la ville, où mon corps n'a plus droit de cité. Mais un mince fil de conscience me relie toujours à ce qui fut moi pendant tant d'années que j'ai du mal à m'en séparer, même maintenant qu'il a commencé à pourrir sous le soleil. La nuit tombe, les portes se ferment, les zombies arrivent. J'entends enfin une voix qui m'est adressée.
- DÉSOLÉ POUR LE RETARD. JE DEVAIS M'OCCUPER D'UNE PELLETÉE DE FOUINEURS.