La Chute
Le froid pénétrant du métal fit frémir le gardien. Son regard parcouru les dunes, éteint. Les autres affichaient un optimisme forcé, arguaient de leur résistance et de leur capacité individuelles à faire face, au-delà de l’échec collectif, ce véritable gouffre défensif à jamais béant.
Lui n’affichait plus rien.
Ce n’était pas la frustration, la colère ou un quelconque sentiment qui l’avait poussé à rester seul avec lui-même une grande partie de la journée. La peur l’avait brièvement effleuré dans la matinée mais avait été happée par le vide qui se creusait chaque seconde un peu plus en lui.
Sa dépouille lacérée, il la voyait chaque soir un peu plus nettement, et ce depuis presque une semaine. Personne n’avait été dupe. Les premiers jours n’avaient été que le calme avant la tempête. Peu à peu, l’expansivité de la cité s’était repliée en une posture plus prudente, alors que les estimations annonçaient l’inéluctable croissance. Depuis une demi-douzaine de jours ils assistaient impuissants au déchaînement sanguinaire de la Hordes.
Aujourd’hui c’en était fini.
La banque, cœur de la ville, s’était vidée depuis des jours de ces objets vitaux qui leur auraient assuré la longévité. Ils avaient été poussés dans leurs derniers retranchements, bataillé pour chaque millimètre de muraille supplémentaire. Cela avait marché. Ils avaient vaillamment encaissé la charge des quelques 2500 putrides qui les avaient assaillit, deux nuits auparavant.
Mais aujourd’hui ils avaient atteint leurs limites. Les corps des dix gardiens retrouvés au petit jour en avaient été le terrible témoignage.
Le gardien caressa de sa main calleuse les crevasses de son bouclier. Il ne suffirait plus. Les deux plaques de tôles qu’il avait installé sans conviction pour sécuriser un peu plus son habitation non plus. S’il n’était pas allongé avec ses camarades décédés, c’était simplement une question de chance.
Il avait entendu, peu avant que le vacarme des planches brisées et des portes fracturées n’emplisse la ville, certains d’entre eux hurler à la Hordes de venir les chercher, eux. Sans doute avaient ils compris, alors que les premiers membres déchiquetés avaient percé leurs défenses. Peut être avaient ils préféré attirer dans leurs demeures autant de putrides que possible, protégeant une dernière fois leurs frères et sœur.
Quelle importance.
Le soleil s’était levé, éclairant de sa lumière morne la dévastation.
Depuis rien n’avait changé. Le gardien n’avait même pas pris la peine d’affiner les estimations. La simple logique rendait cette tâche superflue. Rien ne les protégerait plus.
Pourtant aucun ne fuyait. Pas un ne se lamentait. Les vingt quatre gardiens avaient profité de leurs dernières heures de quiétude comme bon il leur semblait. Certains étaient partis retourner quelques dunes, guidés par l’habitude, tandis que d’autres s’étaient installés en groupes en divers endroits.
Quelques uns hantaient la taverne dévastée, d’autres organisaient une sorte de compétition sanglante du côté de la boucherie.
Ils n’avaient rien à se dire, car tous éprouvaient les mêmes sentiments alors que la lumière les abandonnait, que le temps leur manquait. Rien ne pourrait combler ces discussions à jamais perdues et ces assemblées qui ne verraient plus le jour.
Ils avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir. Cela aurait du lui suffire.